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Visite au Trainzlab studio
Par Thomas Hellman

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Au fil des années, j’ai rendu quelques fois visite à mon ami Erik West dans son Trainzlab Studio à côté de la voie ferrée. Il faut le voir, cet endroit, avec ses murs de briques, les vieux planchers de bois qui grincent, les morceaux de ferraille éparpillés ici et là parmi les disques vinyles, les photos, les livres. 

 

Le Trainzlab est blotti dans le coin d’un vieux bâtiment industriel à moitié en ruine, résistant encore (mais pour combien de temps?) à la gentrification galopante du quartier. L’unique fenêtre donne sur la voie ferrée.

C'est là qu'Erik entrepose son matériel ferroviaire, ses sculptures farfelues, les instruments de musique qu’il fabrique lui-même, et tous les autres trucs et machins qu’il collectionne. 

 

Erik West-Millette, mieux connu sous le nom de « Westrainz », « Mr West », ou encore « Westie », comme j'aime l'appeler, m’accueille toujours en mettant un disque, Leon Redbone, Hank Williams, Jimmy Rodgers…

 

All around the water tank, waiting for a train.

A thousand miles away from home, just a sittin’ in the rain.

 

Pendant la pandémie, j’ai passé un après-midi mémorable au Trainzlab, plus précisément dans la cour arrière, au bord de la voie ferrée. C’était une journée de fin d’hiver, le soleil brillait, il faisait doux. Erik et moi, on s’est assis sur des vieux tonneaux et on a parlé de la vie. Ce qui veut dire qu’on a parlé de trains, car Erik parle toujours de la vie en parlant de trains. 

 

C’était une période un peu triste, l’ambiance était glauque en ville, les gens se sentaient piégés, inquiets, isolés, tristes, paranoïaques. Erik m’a raconté l’histoire de son arrière-grand-père, Harry West, né esclave en Louisiane, devenu musicien, voyageant de ville en ville… À dos de train bien sûr.

 

Un jour, Harry a décidé de suivre l'étoile du Nord. Il est embarqué sur un train qui l’a mené jusqu’à Montréal. 

Il a commencé à jouer du banjo et de la guitare dans un groupe de musique, et à travailler pour le chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) aux ateliers Angus. 

 

« Voilà pourquoi je suis ici, a dit Erik, voilà pourquoi je suis en vie.  Mon arrière-grand-père a pris le train de la liberté. Et son fils Leo - mon grand-père - est devenu cheminot. Je me souviens quand j’étais petit : Leo partait pendant des semaines sillonner l'Amérique. Ça me faisait rêver. J’imaginais les paysages qu’il traversait. Je les voyais presque. J'étais un p’tit cul pris à la maison, mais mon âme voyageait avec Grandpa Leo et je me sentais libre. Je voulais vivre cette vie, un jour. Je ne suis jamais devenu cheminot, mais j’ai voyagé en tant que musicien. Et je n’ai jamais renoncé à l’esprit du chemin de fer. Je ne voyage pas sur les trains, mais les trains font partie de moi et de ma musique.»

 

À ce moment-là, on a entendu un sifflement strident. Un train est apparu à l’horizon roulant vers nous. Erik s'est levé, tout excité et a fait signe au conducteur de faire sonner la sirène une fois de plus. Une longue plainte s’est élevée dans l’air frais du printemps, se répandant dans les rues désertes de la ville, tel le chant solitaire d’une immense baleine de fer. 

 

C'était un de ces trains de marchandises canadiens très long qui n’en finissent pas de passer.  Quand, enfin, on l’a vu disparaitre à l’horizon, Erik a allumé un cigare et il m’a dit : « Je veux faire un livre-disque et un spectacle en hommage aux nomades du rail ». Les aiguilleurs, chefs de train, poseurs de rails, cheminots, hobos… Tous ces vagabonds célestes voguant sous les étoiles, bercés par le rythme roulant du rail.

 

La nuit est arrivée vite, il faisait de plus en plus froid. On a allumé un feu dans une vieille poubelle en métal et Mr West a commencé à cuisiner un ragoût en y ajoutant une bonne dose de son Home Made Hobo Hot Sauce, sa sauce piquante maison.

 

Soudainement, on a vu des visages s’approcher, se rassembler autour du feu. J'ai vu Slim Dane, Jimmy Rodgers, R7 Crows et Captain Kazoo. J’ai vu Jack London, Breakman Mitch, Switchman Jimmy et Sista Sousa Ju.

J’ai vu Johnny Mac, Jack Kerouac, Gentleman Yaral et Moonshine Bubu. J’ai vu Nawlin Slim Jim, Hank Snow, Leon Ray Livingstone.

 

Et ce n’est pas tout. 

J’ai vu des inconnus, des oubliés, des milliers et des milliers de fantômes ferroviaires sortis de la nuit.

 

J’ai vu le grand-père Leo West, et l’arrière-grand-père Harry West aussi.

 

On a mangé, on a bu, on a ri, on a chanté des chansons et on a raconté des histoires. Le feu craquait, les étincelles montaient dans le ciel nocturne. 

 

L’une d’elle a grimpé si haut qu’elle est sortie de notre champ de vision. Et je le jure, parole de hobo, à ce moment-là une nouvelle étoile est apparue dans le firmament.

 

N’allez pas dire que mon ami Erik West est un fou des trains. 

 

Ce n’est pas la mécanique, la machine, le clang bang slam des locomotives et des wagons qui l’intéressent (même s’il adore mettre ces bruits dans sa musique). Ce qu’il poursuit c’est la poésie visuelle et musicale d’une mythologie ferroviaire en voie de disparition. 

 

Tout le monde à bord!

 

Thomas Hellman, alias « Transcontinental T ».  

Le 20 novembre 2022, Montréal

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